Le piege des CDS (Securibourse)

par Alix, mardi 30 septembre 2008, 17:23 (il y a 5892 jours) @ ilanoe

» que sont les CDS au juste et quels sont leurs implications sur le systeme
» financier >

Goldman, Morgan et le piège des CDS, par Paul Jorion.
Les cours de Goldman Sachs et Morgan Stanley ont été fortement attaqués hier. « Qu’est-ce qui fait que leurs actions baissent > Le fait que le coût des Credit-Default Swaps sur ces firmes augmente. »

Par Paul Jorion, 17 septembre 2008 :

Au moment où j’écris, les titres de Goldman Sachs et de Morgan Stanley, les deux grands courtiers / banques d’investissement encore en vie, sont attaqués : -20,05 % pour la première, -28,40 % pour la seconde. Pourquoi, puisque leurs chiffres à elles ne sont pas alarmants > Parce que le sentiment général est, primo, que ça va mal pour tout le monde, secundo, que la rentabilité de ce genre d’affaires s’est envolée en fumée.

Qu’est-ce qui fait que leurs actions baissent > Le fait que le coût des Credit-Default Swaps [1] sur ces firmes augmente. Pourquoi continuer à acheter des CDS quand la solvabilité de ceux qui les vendent est en question > Et, facteur aggravant, le fait que comme il s’agit d’un marché non-régulé, personne n’est chargé de vérifier cette solvabilité, de la même manière que personne n’a jamais vérifié si les vendeurs de CDS disposaient des réserves suffisantes en cas de pépin. Ceux d’entre vous qui commentez mes billets vont tout particulièrement apprécier la citation suivante. Il s’agit d’un certain Mr. Uderitz, un vendeur de CDS. Le passage est extrait d’un article publié en mars dernier dans le Wall Street Journal :

Donald Uderitz, le gestionnaire du fonds d’investissement spéculatif [CDO Plus Master Fund Ltd.], dit qu’il pensait que la probabilité était très faible qu’il ait jamais à débourser pour honorer ces assurances [qu’il vendait sous la forme de CDS] destinées à couvrir les pertes des CDO. Il expliquait dans un entretien qu’il avait acheté la firme pour encaisser les commissions que les banques verseraient à son fonds d’investissement, à savoir 5,5 % du montant notionnel de 10 millions de dollars du [Credit-Default] swap de Citigroup et 2,75 % de Wachovia. Mr. Uderitz dit que maintenant il se sent « couillonné » (suckered). [2]

Mettez-vous à sa place !

Les CDS ont joué un rôle essentiel dans la constitution de ce qu’on appelle les produits financiers « synthétiques », où il faut comprendre « synthétique » dans son sens courant : « créé de toutes pièces en vue de reproduire l’équivalent d’un produit naturel ». La vogue des produits synthétiques est due au fait qu’il est très aisé d’utiliser le principe de l’assurance pour mimer n’importe quelle opération qui peut déboucher sur un gain. Je prends l’exemple de l’achat d’une action en bourse. Si j’achète une action à un prix X et que ce prix augmente ensuite, je bénéficie de ce gain. Si j’avais procédé autrement : si j’avais contracté une assurance qui me rembourse de la « perte » que j’estime subir du fait que le cours de l’action de cette société grimpe, j’aurais reconstitué « synthétiquement » un produit financier présentant le même rendement (moins le montant de la prime) que celui d’une action d’une société, sans jamais en avoir acheté aucune. Le montant de la prime constitue bien entendu une charge, ceci dit, dans le cas des CDS, divers avantages fiscaux et de présentation des chiffres au bilan, compensent largement cette dépense supplémentaire.

Ce sont ces avantages qui expliquent pourquoi les CDS furent utilisés pour créer des Collateralized-Debt Obligations (CDO) synthétiques. Au lieu d’être constitués comme les CDO proprement dits de « tranches » d’Asset-Backed Securities (ABS) regroupées en un seul instrument, les CDO synthétiques étaient des CDS mimant le comportement des CDO. De même, les « ABX », dont il fut longuement question dans L’implosion (Jorion 2008 : 108 - 133), du fait que leur cours servit de baromètre de la crise des subprimes à ses débuts, étaient des CDS qui assuraient leur acheteur contre les pertes hypothétiques subies par un indice représentant un panier d’ABS adossées à des prêts subprime. Les CDS portant sur des indices financiers et des instruments de dette représentent à peu près la moitié du marché.

J’expliquais en juin, dans Lehman Brothers : est-on reparti pour un tour >

La chute de Lehman Brothers serait une très très mauvaise nouvelle pour le monde financier. Primo, parce qu’on avait dit à propos de Bear Stearns : « On pourra faire ça une fois mais pas deux », en pensant essentiellement aux 28 milliards de dollars avancés par la Fed pour financer l’opération. Or il était apparu dans les jours qui suivirent que l’identité du chevalier blanc J.P. Morgan Chase n’avait pas été indifférente au déroulement des événements car c’est cette banque qui est le plus impliquée dans la garantie des Credit-Default Swaps, ces paris que font les établissements financiers quant à la bonne santé de leurs confrères, et c’était donc elle qui aurait subi le plus grand choc au cas où Bear Stearns avait fait faillite, ce qui avait fait dire à certains que ce n’était pas tant Bear Stearns qui avait été sauvée in extremis le 16 mars mais J.P. Morgan elle-même. Mauvaise nouvelle secundo parce qu’arriverait-on même à sauver in extremis Lehman Brothers comme on a pu le faire avec Bear Stearns, des trois qui resteraient en piste à Wall Street, il s’en trouverait automatiquement une qui serait cette fois « la plus petite des trois grandes banques d’affaires de Wall Street », mettant en évidence que la spirale infernale est toujours là bien présente et qu’on serait à nouveau prêt à partir pour un tour.

Les autorités se sont bien entendu inquiétées de la fragilité du marché des Credit-Default Swaps et de l’existence du coup d’un risque systémique, mais son opacité faisait que l’ampleur éventuelle de ce risque ne pouvait pas être mesurée. Aussitôt après le sauvetage de justesse de Bear Stearns en mars, les régulateurs ont commencé à faire pression sur l’ensemble des vendeurs de CDS pour qu’ils se concertent en vue d’assurer dorénavant une meilleure transparence du marché. L’option la plus naturelle était de mettre sur pied un marché organisé par lequel les parties devraient désormais passer. Une « chambre de compensation » mettrait les parties en présence, collectant sur des comptes individuels les marges servant de provisions, réconciliant ces comptes en fin de journée, assurant la publicité des opérations, et ainsi de suite.

Un marché organisé permettrait à chacune des parties engagées de savoir avec précision qui contracte avec qui et encouragerait les contractants liés « en bout de chaîne » à traiter directement l’un avec l’autre, éliminant les intermédiaires qui ne contribuent qu’à accroître la fragilité de la chaîne en y introduisant sans nécessité des maillons supplémentaires.

Les vendeurs de CDS résistèrent initialement à ces pressions, les contrats de gré à gré leur permettant - lorsque les acheteurs sont mal informés - de percevoir des commissions et des frais artificiellement gonflés. Autre facteur contribuant à leur manque d’enthousiasme, la concurrence entre les marchés organisés déjà en existence, et en particulier les marchés à terme tout disposés à étendre leur emprise au marché des CDS, et les acteurs traditionnels de ce marché : banques d’affaires et grandes banques commerciales américaines et européennes, déterminées à défendre leur manière de faire habituelle. Les banques se mirent d’accord pour créer Clearing Corp., un marché organisé des CDS, dont la naissance était prévue pour la fin de ce mois-ci. La priorité aurait été donnée à une réduction du volume total des contrats en réconciliant « multilatéralement » les positions qui s’annulent en bout de chaîne.

Tout le monde a été pris de court. Certains ne croyaient cependant pas à la viabilité du projet : le 8 mai, la compagnie d’assurance American International Group (AIG) - celle qui fut « semi- » nationalisée hier - prenait les devants en passant aux profits et pertes un portefeuille de CDS dont elle était l’acheteur, pour un montant de 9,1 milliards de dollars. Ce qui ne l’a pas empêchée bien sûr d’être, elle aussi, prise au dépourvu.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain > (La Découverte : 2007).


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