Avis de J-P Petit: situation pré-déflationniste (Securibourse)

par Graham ⌂ @, jeudi 27 novembre 2008, 16:03 (il y a 5834 jours)
édité par Graham, jeudi 27 novembre 2008, 16:07

Jean-Pierre Petit est Responsable Recherche économique et Stratégie d’Investissement d'Exane BNP Paribas. Dans un livre publié en 2003, "La Bourse - Rupture et renouveau", il avait déjà soulevé le spectre d'un important risque déflationniste à venir sur toutes sortes d'actifs. Ses avis sont souvent originaux et jamais orthodoxes et consensuels. Cet économiste défraie par ses intuitions et son raisonnement mais également, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, par la modération de ses conclusions quand d'autres, avec de pareils constats, concluent à la fin d'une époque ou d'un monde. Les propos rapportés ici ont été extraits d'une interview réalisée par un journaliste d'Easybourse au dernier salon Actionaria.

«Une situation pré déflationniste est clairement le risque principal auquel nous faisons face»
(Easybourse.com)
http://www.easybourse.com/Website/interview/1389-jean-pierre-petit-exane-bnp-paribas.php

Quel diagnostic faites-vous de la crise à l’heure actuelle >
Quasiment tous les pays développés sont en récession à l’heure où nous parlons. Nous nous inscrivons dans une situation pré-déflationniste. C’est clairement le risque principal auquel nous faisons face.

De quelle manière décririez-vous la déflation >
Comme un processus fortement récessif, relativement violent qui s’autoalimente par la baisse des prix et dont il est très difficile de sortir. C’est un phénomène que nous avons connu au niveau mondial dans les années 30, au Japon dans les années 90, en Argentine entre 1998 et 2001.

Pourquoi sommes-nous dans une situation pré-déflationniste >
La dette de l’ensemble des agents économiques, les banques mais également les autres entreprises, les ménages, les Etats, a atteint un niveau record en pourcentage du PIB. Parallèlement, le prix des actifs risqués n’a cessé de baisser : l’immobilier, les actions, le crédit, les matières premières. Une telle configuration est insoutenable dans la durée.

Les entreprises et les ménages sont alors contraints de réduire leurs dépenses dans l’investissement pour les premiers et la consommation pour les seconds. Les banques sont par ailleurs forcées de couper dans leur bilan, notamment en ralentissant le rythme de distribution du crédit.

Ce risque est-il anticipé par les investisseurs >
Ce risque commence à être intégré par le marché actions.

Comment peut-on s’en sortir >
Il ne faut pas compter sur le marché pour s’auto-réguler. Tout dépendra de la qualité des politiques publiques qui seront mises en œuvre, aussi bien les politiques budgétaires que les politiques de renflouement du système financier.

Un seul acteur se leverage aujourd’hui, c’est l’Etat. Cela vous parait être une bonne chose. Pourquoi >
Les investisseurs sont à la recherche d’un placement sans risque. L’Etat apparaît en cela comme un acteur miraculeux pour la communauté financière. Il n’a pas de contrainte de fonds propre, il dispose d’une capacité financière quasi illimitée, il n’est pas soumis au mark to market contrairement aux institutions financières (valorisation des actifs à la valeur de marché), il s’inscrit dans un horizon de long terme…

Existe-t-il encore des marges de manœuvre pour un pays comme les Etats-Unis >
La dette publique négociable aux Etats-Unis représente 40% du PIB. Le pays a de toute évidence encore des marges de manœuvre. Et de toute manière, il n’y a pas le choix, en raison du renflouement du système bancaire et du fait des plans de relance qui devront être déployés dans les prochains mois.

En cela, je crois sincèrement que Barak Obama va profiter de l’occasion unique et du caractère historique de son élection, de sa capacité de rassemblement, de sa majorité au Congrès et du besoin de rénovation publique aux Etats-Unis après les deux mandats de G. W. Bush pour élaborer un package budgétaire extraordinairement ambitieux (5à 6% du PIB) à l’instar de ce qu’à fait Roosevelt dans les années 30. Ce plan sera basé notamment sur les infrastructures, les énergies renouvelables, l’éducation, la santé…

Quels sont, selon vous, les prochains dangers qui nous guettent >
Nous pouvons mentionner en premier lieu la montée des défauts des ménages et des entreprises non financières. Le dégonflement de la bulle immobilière américaine n’est pas terminé. On peut encore s’attendre à une baisse des prix de l’ordre de 15%, sachant que nous sommes déjà à -22%. Nous allons donc tangenter les -40% en nominal, -50% en réel. Cela signifie autrement dit que nous assistons au plus grand bear market immobilier de toute l’histoire.

Nous pouvons également évoquer la déroute de certains autres hedge funds ou encore de pays émergents, en particulier en Europe centrale. Ce seront autant de stress qui viendront alimenter dans les 6 prochains mois la chronique des marchés.

Les acteurs privés ont commencé à jouer leur rôle mais il vous parait essentiel que l’Etat mutualise la crise dans les prochains mois…Nous avons assisté au cours des deux derniers mois à la plus brutale phase de restructuration des banques occidentales depuis 1945. Par ailleurs, nous avons connu une baisse de 60% du prix du baril en l’espace d’à peine trois mois. Nous n’avions jamais vu une telle chose dans l’histoire.

Parallèlement l’Etat a généralisé les garanties de dépôts, mis en place des garanties sur les obligations des banques, réinjecté du capital dans ces établissements, racheté des actifs toxiques (aux Etats-Unis et en Espagne). Hors garantie des dépôts, l’Etat a mis 18% du PIB potentiel maximal aux Etats-Unis et en Europe occidentale, ce qui est considérable.

Mais cela ne suffit pas. Il va falloir d’autres plans de relance budgétaire, peut-être de nouveau intervenir dans le système bancaire, accentuer les politiques accommodantes (ramener les taux à 0, augmenter le bilan, taxer dans le cas où cela irait très mal l’épargne liquide dans les banques en imposant des taux d’intérêt négatifs)…

Beaucoup de liquidités ont été injectées dans le système, pour autant la situation ne fait que s’aggraver. Comment l’expliquez-vous >
Entre le 15 septembre, date de la faillite de Lehman Brothers et aujourd’hui, nous connaissons les conséquences d’un choc systémique. On ne s’attaque pas à la stabilité du système financier impunément. D’ailleurs tous les indicateurs de confiance des entreprises et des ménages se sont effondrés. Nous avons eu un assèchement du marché monétaire et du marché du crédit. Les banques ont du céder massivement des actifs, couper leurs crédits, et accélérer ainsi le processus déflationniste.

Il y a eu une chute de la valeur des actifs, des effets de richesse par conséquent très négatifs, un effort d’épargne de la part des ménages en hausse, un accroissement du coût du capital de la part des entreprises. Heureusement que les Etats ont su réagir rapidement et de manière importante.

Nous entendons parler depuis plusieurs années de la mise en place de multiples commissions, de comités d’audit, de contrôle, de services d’inspection. Or on a découvert que les banques ont laissé faire récemment dans deux grandes affaires en France. Avant de demander le retour de la confiance de la part des particuliers et des entreprises ne faut-il pas auparavant mettre véritablement en pratique ces contrôles qui existent >
Il restera toujours des vides plus ou moins importants dans la régulation financière. Il y aura toujours des personnes qui sauront très bien exploiter ces vides. Au demeurant, les établissements financiers font partie des entités les plus régulées qui soient par rapport à d’autres acteurs comme les hedge funds ou encore les agences de notation. En vingt ans de crise financière, j’ai pu vérifier à quel point l’ingénieur financier a en permanence une longueur d’avance sur le régulateur.

Propos retranscrits par Imen Hazgui

Publié le 26 Novembre 2008

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