Avis de J-P Petit: situation pré-déflationniste (Securibourse)
Jean-Pierre Petit est Responsable Recherche économique et Stratégie dInvestissement d'Exane BNP Paribas. Dans un livre publié en 2003, "La Bourse - Rupture et renouveau", il avait déjà soulevé le spectre d'un important risque déflationniste à venir sur toutes sortes d'actifs. Ses avis sont souvent originaux et jamais orthodoxes et consensuels. Cet économiste défraie par ses intuitions et son raisonnement mais également, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, par la modération de ses conclusions quand d'autres, avec de pareils constats, concluent à la fin d'une époque ou d'un monde. Les propos rapportés ici ont été extraits d'une interview réalisée par un journaliste d'Easybourse au dernier salon Actionaria.
«Une situation pré déflationniste est clairement le risque principal auquel nous faisons face»
(Easybourse.com)
http://www.easybourse.com/Website/interview/1389-jean-pierre-petit-exane-bnp-paribas.php
Quel diagnostic faites-vous de la crise à lheure actuelle >
Quasiment tous les pays développés sont en récession à lheure où nous parlons. Nous nous inscrivons dans une situation pré-déflationniste. Cest clairement le risque principal auquel nous faisons face.
De quelle manière décririez-vous la déflation >
Comme un processus fortement récessif, relativement violent qui sautoalimente par la baisse des prix et dont il est très difficile de sortir. Cest un phénomène que nous avons connu au niveau mondial dans les années 30, au Japon dans les années 90, en Argentine entre 1998 et 2001.
Pourquoi sommes-nous dans une situation pré-déflationniste >
La dette de lensemble des agents économiques, les banques mais également les autres entreprises, les ménages, les Etats, a atteint un niveau record en pourcentage du PIB. Parallèlement, le prix des actifs risqués na cessé de baisser : limmobilier, les actions, le crédit, les matières premières. Une telle configuration est insoutenable dans la durée.
Les entreprises et les ménages sont alors contraints de réduire leurs dépenses dans linvestissement pour les premiers et la consommation pour les seconds. Les banques sont par ailleurs forcées de couper dans leur bilan, notamment en ralentissant le rythme de distribution du crédit.
Ce risque est-il anticipé par les investisseurs >
Ce risque commence à être intégré par le marché actions.
Comment peut-on sen sortir >
Il ne faut pas compter sur le marché pour sauto-réguler. Tout dépendra de la qualité des politiques publiques qui seront mises en uvre, aussi bien les politiques budgétaires que les politiques de renflouement du système financier.
Un seul acteur se leverage aujourdhui, cest lEtat. Cela vous parait être une bonne chose. Pourquoi >
Les investisseurs sont à la recherche dun placement sans risque. LEtat apparaît en cela comme un acteur miraculeux pour la communauté financière. Il na pas de contrainte de fonds propre, il dispose dune capacité financière quasi illimitée, il nest pas soumis au mark to market contrairement aux institutions financières (valorisation des actifs à la valeur de marché), il sinscrit dans un horizon de long terme
Existe-t-il encore des marges de manuvre pour un pays comme les Etats-Unis >
La dette publique négociable aux Etats-Unis représente 40% du PIB. Le pays a de toute évidence encore des marges de manuvre. Et de toute manière, il ny a pas le choix, en raison du renflouement du système bancaire et du fait des plans de relance qui devront être déployés dans les prochains mois.
En cela, je crois sincèrement que Barak Obama va profiter de loccasion unique et du caractère historique de son élection, de sa capacité de rassemblement, de sa majorité au Congrès et du besoin de rénovation publique aux Etats-Unis après les deux mandats de G. W. Bush pour élaborer un package budgétaire extraordinairement ambitieux (5à 6% du PIB) à linstar de ce quà fait Roosevelt dans les années 30. Ce plan sera basé notamment sur les infrastructures, les énergies renouvelables, léducation, la santé
Quels sont, selon vous, les prochains dangers qui nous guettent >
Nous pouvons mentionner en premier lieu la montée des défauts des ménages et des entreprises non financières. Le dégonflement de la bulle immobilière américaine nest pas terminé. On peut encore sattendre à une baisse des prix de lordre de 15%, sachant que nous sommes déjà à -22%. Nous allons donc tangenter les -40% en nominal, -50% en réel. Cela signifie autrement dit que nous assistons au plus grand bear market immobilier de toute lhistoire.
Nous pouvons également évoquer la déroute de certains autres hedge funds ou encore de pays émergents, en particulier en Europe centrale. Ce seront autant de stress qui viendront alimenter dans les 6 prochains mois la chronique des marchés.
Les acteurs privés ont commencé à jouer leur rôle mais il vous parait essentiel que lEtat mutualise la crise dans les prochains mois Nous avons assisté au cours des deux derniers mois à la plus brutale phase de restructuration des banques occidentales depuis 1945. Par ailleurs, nous avons connu une baisse de 60% du prix du baril en lespace dà peine trois mois. Nous navions jamais vu une telle chose dans lhistoire.
Parallèlement lEtat a généralisé les garanties de dépôts, mis en place des garanties sur les obligations des banques, réinjecté du capital dans ces établissements, racheté des actifs toxiques (aux Etats-Unis et en Espagne). Hors garantie des dépôts, lEtat a mis 18% du PIB potentiel maximal aux Etats-Unis et en Europe occidentale, ce qui est considérable.
Mais cela ne suffit pas. Il va falloir dautres plans de relance budgétaire, peut-être de nouveau intervenir dans le système bancaire, accentuer les politiques accommodantes (ramener les taux à 0, augmenter le bilan, taxer dans le cas où cela irait très mal lépargne liquide dans les banques en imposant des taux dintérêt négatifs)
Beaucoup de liquidités ont été injectées dans le système, pour autant la situation ne fait que saggraver. Comment lexpliquez-vous >
Entre le 15 septembre, date de la faillite de Lehman Brothers et aujourdhui, nous connaissons les conséquences dun choc systémique. On ne sattaque pas à la stabilité du système financier impunément. Dailleurs tous les indicateurs de confiance des entreprises et des ménages se sont effondrés. Nous avons eu un assèchement du marché monétaire et du marché du crédit. Les banques ont du céder massivement des actifs, couper leurs crédits, et accélérer ainsi le processus déflationniste.
Il y a eu une chute de la valeur des actifs, des effets de richesse par conséquent très négatifs, un effort dépargne de la part des ménages en hausse, un accroissement du coût du capital de la part des entreprises. Heureusement que les Etats ont su réagir rapidement et de manière importante.
Nous entendons parler depuis plusieurs années de la mise en place de multiples commissions, de comités daudit, de contrôle, de services dinspection. Or on a découvert que les banques ont laissé faire récemment dans deux grandes affaires en France. Avant de demander le retour de la confiance de la part des particuliers et des entreprises ne faut-il pas auparavant mettre véritablement en pratique ces contrôles qui existent >
Il restera toujours des vides plus ou moins importants dans la régulation financière. Il y aura toujours des personnes qui sauront très bien exploiter ces vides. Au demeurant, les établissements financiers font partie des entités les plus régulées qui soient par rapport à dautres acteurs comme les hedge funds ou encore les agences de notation. En vingt ans de crise financière, jai pu vérifier à quel point lingénieur financier a en permanence une longueur davance sur le régulateur.
Propos retranscrits par Imen Hazgui
Publié le 26 Novembre 2008
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Graham