Un autre point de vue...

par chris, lundi 27 février 2006, 12:06 (il y a 6855 jours) @ chris

Des bans de mariage pas très lisibles
Après la délicate ouverture de capital de GDF en 2005, les syndicats peuvent se sentir floués.

par Grégoire BISEAU
LIBERATION : lundi 27 février 2006


Une opération industrielle qui a du sens fait-elle pour autant une bonne décision politique > En annonçant, samedi, dans la précipitation, la fusion entre le groupe privé Suez et GDF, encore détenu à 80 % par l'Etat, le Premier ministre Dominique de Villepin prend le pari qu'il y a dans cette noce matière à capitaliser sur le plan politique. En créant un champion national dans le secteur de l'énergie, il espère donner à son concept de «patriotisme économique», inventé dans la panique d'une (vraie ou fausse >) menace d'OPA hostile sur Danone l'été dernier, un peu de chair. Et redonner, du coup, à l'action de son gouvernement un nouvel allant (lire aussi page 15).

Encore faut-il que le mode d'emploi de ce montage industriel soit compréhensible. Or, le gouvernement semble incapable pour l'heure de donner des justifications claires au moment et au mode opératoire choisis pour le mariage.

Pourquoi annoncer cette fusion si vite > Le ministre de l'Economie Thierry Breton a déclaré que la (vraie ou fausse >) menace d'OPA hostile de l'italien Enel sur Suez, la semaine dernière, n'a pas été le «déclencheur» de cette affaire. A Matignon, au même moment, on explique pourtant que «le gouvernement avait le choix entre laisser Enel prendre le contrôle de Suez sans rien faire, ou créer un grand groupe énergétique français placé sous le contrôle de l'Etat et capable de résister à une OPA hostile».

Pourquoi avoir choisi une fusion totale, si, pour le gouvernement, l'objectif était d'abord de sauver Suez d'un hypothétique raid > Un échange de participations entre les deux groupes aurait suffi pour consolider le noyau dur de Suez et même, peut-être, obtenir une minorité de blocage. Là encore, les argumentaires sont étrangement différents. Matignon assure que, «compte tenu du droit boursier, cette prise de participations aurait été trop lente à mettre en oeuvre». Bercy, de son côté, explique que «la fusion était la modalité qui faisait le plus de sens pour le projet industriel des deux groupes». Et une source gouvernementale de lâcher : «De toute façon, tout le monde savait que le modèle d'un GDF indépendant n'était pas viable dans la durée.»

Alors, dans ce cas, pourquoi avoir pris la décision de mettre GDF en Bourse à l'été 2005, en vantant partout le modèle de croissance de l'ex-monopole gazier > Pourquoi ne pas avoir attendu l'aboutissement de ce projet d'alliance industrielle (qui existait depuis longtemps dans les tiroirs de Gérard Mestrallet, le patron de Suez) pour justifier l'ouverture du capital de l'entreprise publique >

Toutes ces incohérences n'auraient finalement pas beaucoup d'importance si ce n'était pas la parole de l'Etat qui était en cause dans cette affaire. Car la mise en Bourse de 20 % du capital de GDF a été l'aboutissement de trois années de négociations acharnées entre pouvoirs publics et syndicats, CGT en tête. Le bras de fer avait fini par aboutir à la loi de juillet 2004, qui stipulait que l'Etat ne descendrait jamais en dessous de 70 % du capital des deux ex-monopoles publics, EDF et GDF. On se rappelle encore du serment solennel de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Economie. Un an et demi plus tard, l'Etat se retrouve dans la situation de revenir sur sa parole. Et de défaire ce qu'il avait péniblement réussi à construire.

Les syndicats et salariés de GDF peuvent légitimement se sentir floués. «L'aspect politique est la dimension la plus délicate de cette fusion», reconnaît une source pourtant favorable à la fusion GDF-Suez. Difficile ensuite de faire le reproche à des syndicats de refuser le jeu de la négociation et de l'adaptation, si c'est pour leur apporter la démonstration que, quoi qu'il en soit, l'Etat ne tiendra pas ses engagements. Le «patriotisme économique» valait-il la peine de faire exploser le pacte social > Dominique de Villepin pense visiblement que oui. Au minimum, il prend un vrai risque politique.


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