Analyse de marché (Securibourse)

par JF @, samedi 03 février 2007, 14:08 (il y a 6317 jours)

Par Jean Borgeix, Oddo et Cie

Les marchés d’actions sont modérément optimistes en ce début d’année, et les performances des indices sont assez proches les unes des autres autour de 2 à 3%, des marchés asiatiques aux marchés occidentaux. Hésitations avant l’envol ou calme avant la tempête >

Les entreprises américaines ont très bien amorti le choc du ralentissement économique des deuxième et troisième trimestres 2006. Le dernier trimestre 2006 montre déjà une nette reprise de l’activité (PIB +3.5%), et les entreprises n’ont probablement eu aucune difficulté à maintenir leurs marges au niveau très élevé du trimestre précédent. Pour autant, l’année 2007 semble poser quelques problèmes si l’on suit les commentaires qui accompagnent la publication d’un certain nombre de résultats du dernier trimestre. Des incertitudes apparaissent, notamment chez les sociétés de technologie. Le risque de récession que les marchés avaient envisagé au printemps 2006 est-t-il totalement écarté>
À cet égard, où en sont les indicateurs de conjoncture les plus sensibles pour le marché des actions >

Un cycle largement avancé, qui révèle des tensions
Le cycle en cours a débuté au dernier trimestre 2001, après la récession des trois premiers trimestres. Comme dans toutes les situations comparables du passé, certaines tensions apparaissent après 5 ans de hausse ininterrompue de l’activité. La FED les surveille de très près, en particulier la situation tendue de l’emploi.
La FED a déjà freiné la croissance économique grâce au resserrement de la politique monétaire qui a débuté en juin 2004. Mais déjà une reprise de l’activité semble s’engager dans le sillage de l’immobilier. Cette reprise de la croissance paraît étonnamment précoce. Dans notre problématique liée à un marché de l’emploi qui reste très tendu, la reprise d’une activité soutenue nous semble difficile à envisager dès à présent étant donné qu’elle peut déboucher sur de l’inflation salariale. La FED a d’ailleurs confirmé cette analyse à plusieurs reprises au second semestre 2006

Mais le "miracle" des marges des sociétés américaines du troisième trimestre pourrait remettre en question ce blocage par l’emploi.

Les marges des grandes entreprises au troisième trimestre ont montré que ces dernières bénéficiaient encore d’une productivité exceptionnelle.
L’analyse de la productivité est toujours ambiguë, car elle n’est qu’un résultat constaté. La productivité ne génère pas toute la croissance dégagée par l’économie directement, mais elle permet d’améliorer la rentabilité de cette croissance. Ainsi, la productivité constatée ces dernières années peut permettre de bâtir un scénario de croissance prolongée des cash-flows, en dépit des contraintes du plein emploi.
La productivité des entreprises des années 2000-2005 a permis, en effet, de répondre à une croissance de la demande très supérieure à celle de l’emploi. En 2003 et 2004, certains économistes craignaient même de voir émerger une croissance sans emploi.
Ce mécanisme, redouté à l’époque, pourrait aujourd’hui montrer des vertus inattendues. Les résultats du troisième trimestre des principales entreprises américaines nous ont montré que, chez elles, la productivité continuait de progresser à des rythmes supérieurs à la tendance longue. D’ores et déjà, cette productivité a permis d’absorber les premières tensions sur l’emploi. Peut-être faudra-t-il attendre un taux de chômage de moins de 4% pour voir apparaître de réelles tensions sur les salaires >
Pour le moment les salaires n’ont pas encore "rattrapé la productivité" dans les grandes entreprises comme le prévoyait M. Ben Bernanke il y a un an. Le taux de progression annuel des salaires au dernier trimestre 2006 est de 4.8% contre 4.5% au troisième trimestre. Mais, au troisième trimestre, le taux de progression de la valeur ajoutée des entreprises était bien supérieur, autour de 8%, permettant d’aller très au-delà du simple maintien des marges. Il est donc peu probable que le "rattrapage" de la productivité par les salaires, dans les grandes entreprises ait eu lieu dès le quatrième trimestre 2006.
La situation favorable au maintien de marges élevées et d’une inflation limitée semble pouvoir se prolonger début 2007.
À moins que la conjoncture ne se dégrade directement de manière très nette

Quelques indicateurs avancés vont dans ce sens
Parmi les indicateurs avancés, les enquêtes auprès des entreprises jouent un rôle primordial. Les enquêtes auprès des directeurs d’achats montrent une tendance au repli qui s’accélère depuis le printemps 2006. Ces enquêtes ont toujours accompagné l’évolution de l’économie américaine. Selon les économistes, le résultat de ces enquêtes coïncide avec la tendance plus qu’elle ne l’anticipe.
De ce point de vue, le ralentissement actuel de l’économie américaine est bien coïncidant. D’autant que la croissance du troisième trimestre était proche de 0, hors grandes entreprises, incluant notamment l’impact de l’immobilier qui touche beaucoup de petites entreprises. Cet indicateur devrait montrer au cours des prochaines enquêtes si l’économie continue d’évoluer à 2 vitesses. Il devrait montrer surtout si la part de l’économie en croissance l’emporte, ou au contraire, si la faible croissance observée hors des grandes entreprises freine l’ensemble. La réponse est peut-être dans l’association du comportement des marchés et de celui des indicateurs ISM. Dans le passé, les baisses d’indices ont toujours accompagné les fortes dégradations des indicateurs ISM (cf. graphique). Ce n’est pas le cas aujourd’hui, les indices n’étant concernés que par le comportement des grandes entreprises. Pour le moment, les comportements divergents des indices et des ISM confirment la poursuite d’une croissance à 2 vitesses.
Dans les semaines à venir, soit les ISM se redressent et sans doute pourra-t-on envisager une nouvelle phase de croissance, fût-elle moins vigoureuse, dans le cycle en cours. Soit les indices entament un mouvement de baisse et suivent les ISM, et il faudra envisager un retournement plus profond du cycle avec un impact très sensible sur les marchés (baisse de 20 à 30%). À cet égard, la chute du PMI de Chicago de janvier n’appuie pas l’idée d’un rebond de l’ISM manufacturier.

Autres indicateurs : ils sont très partagés
Parmi les nombreux indicateurs utilisés dans l’analyse de la conjoncture, les tendances ne s’avèrent pas très claires. Par exemple, on peut noter que les ventes de camions sont au plus haut, alors qu’elles sont le signe d’une activité soutenue des transports et donc de l’activité en général. Autre exemple, celui des stocks rapportés aux chiffres d’affaires n’est pas très positif. Ils montrent un alourdissement des stocks, qui, a priori, devra être résorbé, encore que cet indicateur est sur une tendance longue baissière, associée au développement des flux tendus, et qu’il a certainement perdu de son importance dans son influence sur la conjoncture. Plus inquiétant est le ralentissement de la croissance des investissements en technologie qui ont représenté quelque 2/3 des investissements au cours des dernières années. En tout
état de cause, aucune tendance ne se dessine clairement des indicateurs traditionnels. Ce sont plutôt des ajustements auxquels on assistera, qui joueront en partie sur la tendance générale.

La courbe des taux comme indicateur de tendance
Les taux directeurs ne baissant pas, la courbe des taux reste inversée, même si le retour vers une tendance plate s’est nettement dessiné ces dernières semaines.
Historiquement, cette inversion a toujours anticipé une récession avec environ un an d’avance. Il s’agit d’un phénomène simple selon lequel le marché obligataire qui accepte des taux à 5 ou 10 ans inférieurs aux taux directeurs, estime que le niveau des taux directeurs et des taux courts observés sur le marché est provisoire, le ralentissement économique et la désinflation étant proches. Compte tenu de la position actuelle de la courbe des taux, deux hypothèses peuvent être envisagées.
Soit la courbe des taux se normalise sous l’effet de la baisse des taux directeurs, ce qui signifierait que la FED anticipe un ralentissement à venir de l’économie. Celui-ci ne serait pas forcément favorable aux marchés d’actions comme le pense une majorité d’opérateurs.
Soit la courbe des taux se normalise par la remontée des taux longs, signifiant que plus aucun risque de ralentissement n’est en vue. La reprise économique se prolonge alors dans l’équilibre en raison de la forte productivité du système. Ce schéma est bien entendu très favorable aux marchés.
Mais une alternative d’interprétation reste possible :
les taux longs remontent en raison des risques d’inflation qui réapparaissent sous la pression des salaires. Dans ce cas, la FED, qui a exprimé sa crainte à plusieurs reprises à ce sujet, entamerait une nouvelle phase de progression des taux directeurs et la courbe des taux pourrait demeurer inversée. C’est la récession garantie et une forte baisse annoncée des marchés.
Pour le moment, le rééquilibrage de la courbe des taux sous l’effet de la remontée des taux longs, est plutôt le signe que le cycle en cours reprend sa tendance haussière interrompue en milieu d’année 2006, provisoirement débarrassé des contraintes de l’inflation salariale.

L’immobilier aux États-Unis
Il ne s’agit pas là d’indicateurs, mais de la situation d’une partie de l’économie américaine. L’immobilier pèse assez lourd dans le système de croissance américain comme dans la plupart des autres économies d’ailleurs, pour s’en préoccuper. Les mises en chantier viennent de s’effondrer, leur niveau revenant à celui de l’année 2001. L’impact sur la croissance a déjà été sévère.
Nous avons vu, en effet, que la croissance hors grandes entreprises aux États-Unis a été proche de 0 au troisième trimestre, pour une grande partie en raison de la situation des petites entreprises de la construction. Pour autant, l’effet richesse n’a pas été mis en cause et la consommation des ménages n’a pas souffert de la baisse de l’immobilier dont l’impact sur le prix des maisons est encore limité. Mais le phénomène est habituel. Les prix mettent du temps à réagir à l’excès de stocks. C’est la durée de l’excédent des stocks qui importe. Dès lors, les marchés pourraient s’inquiéter de la poursuite de la crise de l’immobilier dans la mesure où elle finirait par toucher les prix des maisons. C’est le point essentiel.
Les prix des maisons sont restés stables depuis 3 ans, mais les stocks de ventes en attente ont sensiblement augmenté. Ces stocks sont une menace pour les prix des maisons et pour le recours des ménages à l’emprunt hypothécaire sur la valeur de l’immobilier.
Mais, selon les dernières statistiques du mois de décembre, le montant des stocks par rapport aux ventes a baissé de 7 à 6.5 mois. S’agit-il d’une embellie ou d’un début de retournement > À cet égard, les prochaines statistiques seront très éclairantes. En attendant l’évolution de l’immobilier, l’impact sur l’effet richesse reste limité. La hausse des indices boursiers, qui ont effacé leurs pertes du deuxième trimestre et au-delà, a largement compensé le faible effet de la chute de l’immobilier sur les prix des maisons. La chute des permis de construire et des mises en chantiers a peut-être même entraîné des effets de substitution dans la consommation des ménages, au profit d’autres dépenses comme l’Électroménager, la Hi Fi, ou même l’Automobile.
En tout cas, la baisse de l’activité dans l’immobilier est déjà largement dans les cours.
En revanche, de véritables baisses des prix des maisons pèseraient très probablement sur le marché des actions. Les ménages pourraient alors être amenés à reconstituer une partie de leur épargne, au plus bas historique depuis plus de 50 ans, au détriment de la consommation et de la croissance.

Le comportement du Nasdaq
Le Nasdaq 100 a décroché par rapport au S&P depuis février 2006. Il a connu une velléité de reprise au cours du second semestre 2006 et au tout début 2007. Mais, cette tendance était largement due à un comportement spéculatif de rattrapage en raison de la déception sur les secteurs des technologies en 2006.
Les résultats irréguliers publiés en début d’année 2007 ont rapidement renvoyé les spéculateurs à leurs études.
Des problèmes liés à la croissance sont clairement apparus au dernier trimestre 2006 dans les secteurs de la technologie. En 2000, les secteurs de la technologie avaient aussi rencontré les premières difficultés liées à la fin du cycle précédent. Les cours s’étaient effondrés dans un marché survalorisé. En 2006, la baisse relative des technologies par rapport à l’ensemble du marché n’a rien d’un effondrement.
Toutefois, le même type de signal a été donné. Comme nous l’avons rappelé dans le flash précédent, l’investissement dans le secteur de la technologie a ralenti par rapport à la progression des cash-flows en 2006. Dans les économies développées, il y a là un autre signe clair de ralentissement. Sera-t-il accompagné par la suite par le ralentissement des
secteurs classiques, comme ce fut le cas en 2000-2001 > La réponse la plus probable est qu’il y ait effectivement un impact sur l’économie classique, fut-il retardé.
Le comportement des sociétés de technologie reste donc, au-delà de la spéculation, un indicateur de la tendance générale, encore en 2007.
Le rebond ou la rechute des résultats de ce secteur constituera sans doute des indications majeures lors des prochains trimestres.

En conclusion, les marchés semblent hésiter entre des indicateurs contradictoires, pris entre deux hypothèses.
Soit l’activité redémarre durablement comme le laisse supposer le comportement des emprunts à 10 ans. Mais dans ce cas, les rêves de baisse des taux envisagés au début du second semestre 2006 s’évanouissent et, paradoxalement, cette situation ne semble pas enthousiasmer les marchés. Soit l’activité ne se redresse pas et les résultats des sociétés seraient amenés à être révisés en baisse.


C’est ce que tend à montrer le consensus de Thomson Financial dont les estimations de croissance des résultats 2007 ont été revues en baisse à la suite des publications de résultats du quatrième trimestre 2006, de plus de 9% à moins de 8%. La performance des sociétés au troisième trimestre 2006, qui tenait du miracle, ne s’est pas totalement retrouvée au dernier trimestre, et pourrait ne pas se confirmer en 2007.
Mais, il est aussi clair que les marchés d’actions sont très solides. Structurellement, les grandes sociétés se sont réorganisées, d’abord en se désendettant, puis en arbitrant leurs actifs pour en obtenir la meilleure rentabilité. La productivité qui en est résultée permet d’assurer une solide croissance des résultats, et surtout peut permettre d’envisager de reprendre un rythme de croissance plus soutenu avec des effectifs en faible augmentation.
La hausse des indices dans le cadre du cycle en cours n’est donc, probablement pas terminée.
Rappelons, toutefois, que nous sommes déjà très avancés dans ce cycle et que la FED semble désormais plus réticente à baisser ses taux dans un environnement économique où la croissance se reprend et où aucune véritable détente n’est encore intervenue, en particulier sur l’emploi.
Si une "extension" est rendue possible par les progrès de productivité et le rôle d’entraînement des grandes sociétés, il ne s’agit quand même que d’une extension du cycle haussier qui reste soumis aux tensions sur l’emploi.
Les marchés pourraient s’emballer sur cette extension. La spéculation sur les opérations de fusions acquisitions qui se multiplient avec l’appui de "hedge funds" (120 milliards de livres ont été levés au Royaume-Uni en 2006 sur ce seul type d’opérations), peut fournir les sources d’excès que l’on trouve toujours dans ces cas de figures où plus aucun opérateur ne doute de l’avenir.


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